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LE SYMBOLISME

Cette déclaration acquiert la valeur d’un art poétique, si l’on en rapproche les circonstances particulières qui traversèrent la vie de Nerval, Les « sonnets mystagogiques » des Vers dorés ont été composés de 1841 à 1854, c’est-à-dire aux époques où le poète a fait les plus fréquents séjours dans les maisons de santé[1]. Les meilleurs vers de Nerval sont ceux qu’il a composés avant et après ses crises, ce qui conduit à constater que le don poétique était concomitant avec ses accès de folie. D’où pour les symbolistes un premier principe : Plus on est loin de la raison, plus on a chance d’exprimer les réalités du mystère. Il y en a un second qui se dégage tout naturellement de la déclaration de Nerval à Alexandre Dumas : « En admettant qu’un poème puisse être expliqué, il perdrait à l’être tout son charme. » Est-ce assez dire que la poésie n’est pas matière d’intelligence, mais uniquement de sensibilité ? Elle ne frappe pas la raison, elle émeut le cœur. On n’a pas à lui demander compte de la logique de ses détails, mais uniquement à s’inquiéter de l’impression qu’elle produit. C’est la formule de cette poésie qu’on ne peut discuter, de ces compositions indécises dont le charme réside dans une commotion vague, mais cependant indéniable. Gérard de Nerval ne pose pas seulement le principe. Il donne l’exemple. Son Artémis[2] semble écrite d’hier par un des maîtres de la jeune école :

La treizième revient… C’est encore la première ;
Et c’est toujours la seule, — ou c’est le seul moment :
Car, es-tu reine, ô toi ! la première ou dernière ?
Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?…


Si Gérard de Nerval ne crée pas une langue nouvelle, il soustrait donc la poésie à la tyrannie de la raison, il la délivre du joug classique. Désormais les poètes n’auront pas

  1. Voir le relevé de ces séjours dans Arvède Barine, Nécrosés. Hachette, 1898, p. 322.
  2. Les Chimères.