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DRAMES

Plusieurs bacs furent en même temps remplis d’animaux, de grains et de provisions, et le tout fut, par ce même bateau, transporté du côté sud du St-Laurent, en la paroisse de Ste-Anne, à un mille à peine de la ville de Sorel, c’est-à-dire au seul endroit de cette paroisse où l’on pouvait trouver, le long du fleuve, un endroit où accoster.

Dans ce sauvetage, outre les personnes ci-dessus mentionnées, l’on a compté 22 superbes chevaux, plus de cent bêtes à cornes de choix, grand nombre de moutons, cochons, et quantité de grain et de foin.

Ce travail de sauvetage s’est continué toute l’après-midi de dimanche, et jusqu’à une heure avancée de la soirée, alors que l’obscurité le fit ajourner au lendemain.

LUNDI.

Le travail de sauvetage a été repris lundi matin.

À 6 heures le Pratt est reparti de Sorel et a sauvé, à l’île de Grâce, encore un grand nombre de bêtes à cornes, de chevaux, de moutons et quantité de grains.

Rien de triste comme le spectacle offert hier.

De partout l’on n’entendait que des plaintes, des cris, des lamentations.

De partout l’on demandait du secours, mais, malheureusement, le Pratt ne pouvait être partout à la fois ; il ne pouvait non plus s’aventurer trop loin sur la côte, vu son fort tirant d’eau, et il lui fut impossible d’aller partout où on le demandait. À 10 heures la glace se mit en mouvement, et MM. James Howden et Chênevert, les organisateurs de ce service de sauvetage, virent que la simple prudence leur commandait de revenir à Sorel, ce qu’ils s’empressèrent de faire.

Et certes, ils firent bien. À peine entraient-ils dans le port que la débâcle s’opérait et d’immenses banquises couvraient le chenal où quelques minutes auparavant le Pratt faisait son œuvre de sauvetage.

La débâcle s’opérait ; d’immenses bancs d’une glace épaisse et verte descendaient et, à un moment donné, ces banquises atteignirent la côte, en haut de l’église de Ste-Anne, et renversèrent, en un clin d’œil, douze maisons habitées une minute auparavant ainsi que nombre de granges, écuries, remises, hangars et autres petits bâtiments.

Ces maisons étaient, depuis la veille, remplies de femmes et d’enfants du bas de la paroisse, qui étaient venus s’y réfugier, se croyant là plus sûrs que chez eux, où l’inondation avait rendu leurs maisons inhabitables.

Les maris de ces femmes étaient, les uns restés chez eux pour essayer, de protéger leurs biens contre l’inondation et les glaces ; les autres occupés à porter secours ailleurs. Elles étaient donc seules quand la débâcle commença, et elles durent se jeter dans trois ou quatre pieds d’une eau glacée, afin de n’être pas écrasées sous les débris des maisons que la glace culbutait.

À ce moment la scène était des plus lamentables.

Les femmes criaient, les enfants pleuraient, tous appelaient au secours, et de tous côtés l’on voyait des femmes portant de jeunes enfants dans les bras, fuir, vers le bois, plongées dans l’eau jusqu’à la ceinture.

Le hasard avait voulu qu’un nombre de citoyens de Sorel fussent attirés à Ste-Anne de Sorel par la curiosité ; et c’est alors que nos concitoyens, MM. G. Hardy, Arthur Langlois, P. Paul, Adélard Magnan, W. Archambault, Frs Magnan, René Beauchemin, G. Lord et quelques autres, purent porter secours ces femmes et à ces enfants.