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524 CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

siècle, juger de h semence par les fruits. L’expérience le prouve, et le sujet qui nous occupe confirme les observations de l’expé- rience.

L’enseignement que le prêtre païen donne à son élève est sérieux, grave, sombre, et, avant tout, religieux. A peine celui-ci est né, qu’il voit autour de son berceau la Mort, la Douleur et la Néces- sité, divinités terribles qu’on lui dit d’adorer : soumis à h loi du destin, il les adore*; mais si le maître lui montre la souffrance comme le lot de l’humanité ici-bas, il fait en même temps bril- ler à ses yeux un royaume enchanté « plein de fruits d’or, de fleurs et de petits enfants qui rient; » et le cœur du jeune néo- phyte, fermé pour la terre, s’ouvre avec l’espérance pour un monde meilleur.

La même voie fleurie le mène à l’amour du merveilleux; son in- stituteur donne un aliment à ce penchant naturel à Ihomme en l’entretenant d’un monde mitoyen, peuplé d’esprits mystérieux des deux sexes, les uns nains, conq osant des breuvages magiques; les autres naines, dansant avec des fleurs dans les cheveux et des robes blanches, autour des fontaines, à la clarté de la lune. Frappé par ces fraîches images, l’enfant croira aux esprits, aux sorciers, aux fées, à l’influence des astres; il sera superstitieux et crédule.

Passant à un autre ordre d’idées, le maître apprend à son élève qu’un jour des vaisseaux étrangers descendirent sur les rivages de la patrie, et qu’ils la dévastèrent ; que les prêtres, pères et chefs du peuple, lurent égorgés, hormis un petit nombre qu’on voyait errer, fugitifs, avec des épées brisées, des robes ensanglantées, des béquilles. Et, devant ce tableau plus saisissant que celui devant lequel fit serment le jeune Annibal, l’enfant va jurer haine à mort aux étrangers, et protester qu’il défendra éternellement contre eux le culte de ses pères, les lois de son pays et son indépendance. De là naît dans son cœur, comme un doux fruit sur une tige amére, cet amour du sol natal et de la liberté, cet esprit de rési4auce opi- niâtre, ce dévouement aux chefs nationaux, et cet instinct con- servateur qu’il. ne perdra jamais.

La suite des siècles nous l’a fait voir mettant en pratique les divers enseignements du maître.

Un prince, ennemi et chrétien, le prend, l’enchaîne, lui crève les yeux, et il chante : « Je n’ai pas peur d’être tué; j’ai assez vécu; peu importe ce qui arrivera, ce qui doit être sera: il faut que tous meurent trois fois avant de se reposer pour jamais-. » Puis il pour- suit d’imprécations l’étranger, oppresseur de son culte et tyran de son pays. C’est le barbare aux passions effrénées, inspiré par une


1 Les séries. page 2 et suiv.

2 La prophétie de Cwenchlan, page 20 et suiv.