Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 1.djvu/291

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Le plagiat est trop évident pour qu’il soit nécessaire d’insister. Le trouvère français du douzième siècle n’est pas plus heureux que ne l’a été le conteur gallois du onzième ; il ne fait, comme lui, qu’une plate copie d’un modèle original et charmant. Les ornements dont il charge ce modèle sont de mauvais goût et manquent de naturel. Pour n’en citer qu’une preuve, tandis que le poète populaire représente la sœur du chevalier, de retour, comme une pauvre orpheline, passant les jours et les nuits à pleurer et à attendre son frère ; tandis qu’il ne lui donne pour compagne et pour servante qu’une vieille nourrice aveugle, qu’il ne la pare point de beaux habits menteurs, qu’il lui fait habiter un manoir, en ruines comme sa fortune, au seuil duquel croissent l’ortie et les ronces et couronné de lierre ; le trouvère la peint richement vêtue, fraîche comme un lis, dans une belle chambre, au milieu de valets nombreux et donnant des ordres à son cuisinier. Les paroles que l’original met dans la bouche de la jeune fille sont aussi bien plus naturelles et bien plus touchantes. « Je n’ai pas de frère sur la terre ; dans le ciel, je ne dis pas, » est un trait plein de délicatesse et de sensibilité ; le copiste l’a négligé, sans doute comme vulgaire. Ce fauteuil maternel, vide, au coin du foyer ; cette croix consolatrice, détails charmants, mais surtout cette question si pathétique de la jeune fille au chevalier qu’elle voit pleurer lorsqu’elle lui parle de sa mère : « Votre mère, l’auriez-vous aussi perdue, quand vous pleurez en m’écoutant ? » tout cela manque dans l’imitation ; en revanche, l’auteur se garde bien d’omettre la circonstance précise et banale des dix ans, terme depuis lequel le chevalier a quitté le manoir ; il croit même devoir y ajouter quelques mois. L’amplificateur allemand, venu le dernier, est encore plus lourd, plus traînant et plus monotone.

Ce n’est pas, au reste, la seule fois que les étrangers ont gâté, en y portant la main, les traditions de la Bretagne ; nous en verrons d’autres exemples. On dirait qu’il en est des souvenirs nationaux comme de ces plantes délicates qui ne peuvent vivre et fleurir qu’aux lieux où elles ont vu le jour.

Il était réservé à un poëte breton et français de notre temps de venger l’injure faite au vieux barde armoricain, et de montrer comment on peut faire passer un poème d’une langue dans une autre sans lui ôter son caractère et son originalité ; l’auteur de Marie a traduit le fragment de Lez-Breiz que j’ai précédemment publié, et il a le projet de traduire le reste de la pièce. Le fragment