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Le chanteur populaire, tout en citant le mot fameux de Geoffroy du Bois, omet une circonstance touchante, celle du jeûne de Beaumanoir, à l’occasion de la semaine sainte :


Grande fut la bataille et longuement dura :
Et le chapple (carnage) horrible et deçà et delà ;
La chaleur fut moult grande, chacun si tressua (sua) ;
De sueur et de sang la terre rosoya (rougit).
A ce bon samedi Beaumanoir si jeûna ;
Grand soif eut le baron, à boire demanda ;
Messire Geoffroy du Bois tantôt répondu a :
Bois ton sang, Beaumanoir, la soif le passera,
Ce jour aurons honneur, chacun si gagnera
Vaillante renommée, ja blâmé ne sera. —
Beaumanoir le vaillant adonc s’évertua,
Tel deuil eut et telle ire que la soif lui passa ;
Et d’un côté et d’autre le chapple commença ;
Morts furent ou blessés, guères n’en échappa.


D’après le récit populaire, les Bretons revinrent du combat le casque orné de rameaux de genêts fleuris ; la prairie où la bataille eut lieu courait effectivement, selon le rimeur français,


Le long d’une génetaie qui était verte et belle.


Si nous comparons maintenant la destinée du chant breton avec celle de l’ouvrage français, nous ne pourrons nous défendre d’une réflexion ; c’est qu’il y a dans la poésie populaire un principe de durée qui semble se jouer des efforts du temps. Nous en avons la preuve ici : tous les poèmes écrits qui chantaient la bataille des Trente sont détruits, à l’exception de celui dont nous venons de citer des fragments ; encore est-il resté ignoré pendant plusieurs siècles, et ce n’est que depuis sa découverte qu’on a cessé de douter de la réalité du fait dont il garde le souvenir. Ce fait vivait toujours pourtant, sinon dans la mémoire ingrate du peuple francisé de la haute Bretagne, du moins au fond du cœur des compatriotes montagnards de Tinteniac et de Keranrais ; il enflammait leur patriotisme, il entretenait leur haine pour l’oppression étrangère, et perpétuait parmi eux cette race de braves qui devait produire un jour Rolland Gouyquet, du Couëdic, Latour d’Auvergne, et le dernier des Tinteniac, en l’honneur duquel on chantait la ballade, dans