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lopper ce sentiment qui n’existait qu’en germe. Un souvenir, un mot, un air qu’on se rappelle : que sais-je ? parfois le son d’un instrument sauvage qui s’éveille au fond du vallon, le font éclater tout à coup ; alors l’écolier jette au feu ses livres de classe, maudit la ville et le collège, renonce à l’état ecclésiastique, et revient au village.

Mais, le plus souvent, Dieu l’emporte. En tout cas, l’écolier-poëte a besoin de « soulager son cœur, » c’est son expression ; ses confidences, il les fait à la muse ; c’est elle qui reçoit ses premiers aveux, qui sourit à ses joies d’enfant, qui essuie ses larmes : naïves et mélancoliques existences, que M. Emile Souvestre a peintes d’après nature en des pages charmantes.

Ce qu’on vient de lire fera comprendre pourquoi le vieux satirique que nous avons cité plus haut accuse les kloer de son temps de flatter les femmes par des chansons perfides, et de corrompre les jeunes filles.

Par un instinct naturel à tous les poëtes vraiment populaires, les kloer dont nous parlons n’écrivent jamais leurs chansons. On dirait qu’ils redoutent pour leurs chastes œuvres le sort de ces chansons patoises que vendent, sous leur nom, dans les foires des villes, aux servantes et aux valets, les estimables libraires qui en sont les auteurs. Les kloer préfèrent le siège rustique, mais solide, que leur élève dans son cœur l’habitant des campagnes, au piédestal qu’une publicité banale offre à ses courtisans ; et ils ont raison. La mémoire de l’ouïe, comme l’enseignent les anciens bardes, est, en effet, bien autrement fidèle que la mémoire des lettres. Écrire et se faire imprimer serait pour les poëtes populaires renoncer à voir leurs chants appris par cœur et répétés de génération en génération.

Devenus prêtres, les kloer brûlent ce qu’ils ont adoré ;