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et non à dessein, substituent à des détails originaux d’autres traits à peu près semblables, lambeaux empruntés à de vieilles chansons oubliées, et tombés depuis longtemps dans le domaine public.

Il arrive aussi, en général, qu’au bout d’un certain nombre d’années, l’événement simple, naturel, historique que l’auteur a chanté, s’est, en passant de bouche en bouche, singulièrement poétisé dans la tradition prosaïque. La mort du héros du poëme, en entourant sa mémoire d’une espèce d’auréole d’immortalité populaire, y contribue plus que toute autre cause. On recherche, on répète jusqu’aux moindres circonstances, de ses aventures ; les plus inconnues sont les plus goûtées ; le noyau principal se grossit de la sorte de traits fort souvent inexacts, mais qui passent pour vrais, et qu’on écoute toujours avidement. D’un autre côté, la vie du héros, dans le monde des âmes, ses rapports avec les humains, dont le peuple ne doute pas, cette existence commencée sur la terre et qui se poursuit au delà du tombeau, ouvrent une carrière nouvelle à l’imagination populaire.

Que fera le poëte ? Il a traduit dans la langue des vers la première partie de l’histoire ; il est forcé, pour plaire à ses auditeurs, de l’amplifier et de traiter la seconde. De là, sans doute, dans un cas, des substitutions, et dans l’autre, des développements et des additions inévitables ; mais ces substitutions des chanteurs n’altèrent pas plus l’essence du chant primitif que les additions de l’auteur lui-même. Celui-ci ne fait que greffer des tiges nouvelles sur un arbre qu’il a planté, ou qu’accélérer, par une culture plus soigneuse, la pousse de quelques branches moins vivaces ; ceux-là ressemblent à la nature, qui, par d’éternels renouvellements, remédie à ses propres pertes. L’arbre de poésie, parvenu à son développement