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1609. février.

estoit de pouvoir, par quelque preuve signalée, tesmoygner a Vostre Majesté l’extreme et ardente passion que je luy porte, et combien veritablement je l’ayme. Certes il ne s’en pouvoit rencontrer une plus haute que celle cy, de quitter sans peine et sans regret une sy illustre alliance, une sy parfaite dame, et sy violemment aymée de moy, puis que, par cette pure et franche demission et resignation que j’en fais, je plais en quelque sorte a Vostre Majesté. Ouy, Sire, je m’en desiste pour jammais, et souhaite que cette nouvelle amour vous apporte autant de joye que la perte me causeroit de tristesse, sy la consideration de Vostre Majesté ne m’empeschoit de la ressentir. »

Allors le roy m’embrassa et pleura, m’asseurant qu’il feroit pour ma fortune comme sy j’estois un de ses enfants naturels ; et qu’il m’aymoit cherement, que je m’en asseurasse, et qu’il reconnoistroit ma franchise et mon amitié. La dessus l’arrivée des princes et seigneurs me fit lever ; et comme il m’eut rappellé, et m’eut encores dit qu’il me vouloit faire espouser sa cousine d’Aumale, je luy dis qu’il avoit eu la puissance de me desmarier, mais que de me marier ailleurs, c’est ce que je ne ferois jammais : et la dessus finit nostre dialogue.

J’allay disner cheux Mr d’Espernon, et luy dis ce que le roy m’avoit dit le matin, lequel me dit : « C’est une fantaisie du roy, quy passera comme elle est venue. Ne vous en allarmés point : car Mr le Prince, quy connestra le dessein du roy d’abbord, ne s’y engagera pas. » Ce que je me persuada aussy parce que je le desirois, et n’en dis plus mot a personne. Il est vray que, comme, sous le ciel, il n’y avoit lors rien