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journal de ma vie.

sy beau que Mlle  de Montmorency, ny de meilleure grace, ny plus parfaite, elle estoit fort avant en mon cœur ; mais comme c’estoit un amour reglé de mariage, je ne le ressentois pas sy fort que je devois.

Il arriva que, l’apres disnée, le roy joua a trois dés, selon sa coustume, ayant fait mettre une table a la ruelle de son lit : comme nous jouions sur le soir avesques luy, madame d’Angoulesme arriva avec sa niece qu’il avoit envoyé querir, laquelle il entretint fort longtemps de l’autre costé du lit. Cependant je regardois sa niece, quy ne sçavoit rien de toute cette affaire, et je ne me pouvois imaginer qu’elle fut pour reussir en cette sorte. Apres qu’il eut parlé a la tante, il entretint longuement la niece : puis ayant repris sa tante, comme Mlle  de Montmorency se retira, moy la regardant, elle haussa, a mon avis, les espaules, pour me montrer ce que le roy luy avoit dit. Je ne ments point de ce que je vas dire : cette seule action me perça le cœur, et me fut sy sensible que, sans pouvoir continuer le jeu, je feignis de saigner du nés, et sortis du premier cabinet et du second. Les vallets de chambre m’apporterent sur le petit degré mon manteau et mon chapeau. J’avois laissé mon argent a l’abandon, que Berringuen serra, et ayant rencontré au bas du degré le carrosse de Mr  d’Espernon, je montay dedans, et dis au cocher qu’il me menat a mon logis. Je rencontra mon vallet de chambre, avec lequel je montay a ma chambre, luy deffendant de dire que j’y fusse, et y demeuray deux jours a me tourmenter comme un possedé, sans dormir, boire, ne manger. On creut que j’estois allé a