Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/258

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voulez-vous que j’aie demain ? On sait que nous habitons encore ensemble ; que nous prenons nos repas en commun… Me voici classé anti-gouvernemental !… Charmant !… Vous auriez vraiment pu, mon cher Claude, penser un petit peu à nous, à ma sœur, dont la situation est étrangement fausse… Elle dirige un journal de féminisme, mondain, je veux bien, mais elle a sa clientèle, et…

GENEVIÈVE.

Laisse cela, Frédéric, mon journal n’est pas en question. Je me place à un point de vue plus élevé… Ce sont nos rapports personnels de lui à moi qui sont en cause !… Que comptes-tu faire ? Veux-tu, parle, décide-toi !… Que signifie cette obstination à te taire ?… Qu’as-tu à me regarder de cet œil fixe et glacé ?…

DARTÈS.

Je te regarde, en effet… je te regarde !… Je cherche à lire dans tes yeux le mensonge de dix années d’association totale !…

GENEVIÈVE.

Qu’est-ce que tu veux insinuer ?…

DARTÈS.

Sais-tu ce que m’a craché à la face ce vieil insulteur de profession ?… « Tu n’as été qu’un benêt toute ta vie, toi, qui fus trompé pendant plus de dix ans par ta femme. » Tais-toi !… Ne fais pas ce faible geste de protestation !… Regarde-moi bien ! Je ne l’ai pas su, en effet, mais je l’ai deviné !… Là est ma lâcheté, là est mon aberration !… Je savais qu’il n’y avait peut-être qu’à te faire suivre un jour… qu’à ouvrir une lettre… J’ai préféré vivre, je m’en rends compte maintenant, dans l’ignorance de ce crime domestique !… Mais je t’en ai toujours voulu, comme si je l’avais dé-