Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/27

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soldat qui meurt héroïquement en accomplissant ce qu’il estime son devoir n’est pas nécessairement un idéaliste, voilà ce qu’il importe de distinguer. Quelquefois, il ignore même les raisons qui le font agir. Tandis que le soldat qui s’écrie : « Mourir pour la patrie est le sort le plus beau » est un idéaliste absolu.

L’idéal est de plus individuel : il n’a pas de caractères généraux. Dans une crise patriotique comme celle-ci les formes d’idéals sont diverses : les uns se sacrifient à une idée confessionnelle, à Dieu, les autres à une idée humanitaire de progrès, les autres à la race future, à la suprématie de sa patrie… autant d’idéalistes. Il peut y en avoir d’admirables et même de détestables : l’Allemand qui se bat pour le triomphe unique de sa race fait œuvre exécrable d’idéaliste. Comme Cyrano, en combattant les préjugés, les lâchetés et même les chimères du laurier et de la rose, fait œuvre individuelle d’idéaliste.

Une forme d’idéal qui aura été très répandue chez les enrôleurs et celle à laquelle instinctivement souscrit l’Amazone, c’est la beauté en soi du sacrifice, considéré ainsi que je le disais plus haut, comme la cime de l’énergie humaine, la vertu la plus altière : « Ah ! si j’étais homme, bon dieu, je ne pourrais pas tenir en place, tandis que tous ces braves petits se font tuer… » Le but devient plus incertain, noyé qu’il est dans l’apologie du courage et de la fraternité ; les attributs ne sont plus seulement ceux du patriotisme intégral, — malgré qu’ils en revêtent toutes les apparences.

Je supplie qu’on ne croie pas que je m’insurge le moins du monde contre le consentement à cette forme d’idéal amplifiée et poussée jusqu’au paroxysme ; il n’y a pas que les amazones, les mystiques de l’idée qui aient fait du prosélytisme