Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

calomnie, petite, mais si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer ! Oh ! sans doute, elle profane tout, elle salit nos meilleures actions, infecte nos plus saines pensées, elle crée la légende insurmontable, elle fait mal, très mal… Il est même possible, quand j’ouvrirai ce livre, que de grosses larmes coulent de mes yeux, tout comme font les petits enfants (Renée a un sanglot étranglé.) et les petites filles, Renée… Mais je te jure, aussi, qu’après, je relèverai plus fièrement la tête, parce que je pourrai me dire : j’ai bien vécu ! En voilà le témoignage !… Les plus belles, les plus triomphantes larmes que le Christ a dû verser, ce n’est pas sur la croix à l’heure du sacrifice suprême… c’est à la colonne, sous les crachats et l’opprobre ! C’est alors qu’il a dû sentir que cela valait la peine d’être un homme. (Il prend le livre sur la table.) Le voilà donc ce petit paquet d’épines et d’orties !… Le voilà donc celui qui contient, Renée, toute ma vie, paraît-il, tout notre pauvre amour manqué aussi… celui qui prétend me juger devant les hommes. Prends exemple !… Sous les yeux de celui qui l’a écrit je pourrais à mon tour lancer là-dessus le crachat du mépris… Je l’embrasserai en signe de pardon de tout le mal qu’il va me faire et en disant ceci : « Pour l’idée et pour la fraternité humaine ! » (Il porte le livre à ses lèvres.) Publiez, Gibert !

GIBERT.

Et moi, je me soucie aussi peu de la magnanimité de l’un que de la menace de l’autre !… Depuis cinq minutes j’écoute les bras croisés ce réquisitoire, comme si j’étais cloué à un banc d’infamie. En voilà assez !… Vengez-vous, ce sera de bonne guerre, et j’attends de pied ferme votre provocation, Dartès ; mais ici je suis chez moi, à mon jour-