Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/36

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crisie embusquées ne les accusassent faussement de patriotisme refroidi, voire de lâcheté ?… Jésus ne se fût pas posé cette question !… Et même si la calomnie les avait atteints, la belle affaire ! Est-ce donc un si lourd sacrifice de passer des rangs de la majorité à ceux d’une minorité ? Quand on a dans le cœur une foi bien ancrée, quand on porte en soi l’amour de son pays comme une religion intangible, que peut-on redouter de la calomnie, même lorsqu’on est en pleine renommée ? À supposer qu’elle s’exerce contre nous, n’est-il pas juste, lorsque nos enfants reçoivent des balles mortelles, que nous exposions une plus calme existence aux balles mâchurées et moins dangereuses de la calomnie ?… Oui, c’est vrai, hélas ! des gens se sont servis du patriotisme comme d’une arme dissimulée sous des flots de rhétoriques tricolores et ils ont fait du plus noble des sentiments l’instrument de leurs haines ou de leurs convoitises ! Mais à cette arme n’aurions-nous pas pu en opposer une autre dont le pouvoir (qui sait !) eût pu devenir incalculable ? Au milieu de cette faillite universelle de l’intelligence, à laquelle est due en partie la durée de cette guerre, comment ne nous sommes-nous pas aperçu plus vite que la pitié, la simple pitié, aurait pu devenir une arme capitale, irrésistible qui soulevant les peuples aurait peut-être aidé à terminer cette monstrueuse hécatombe ? Qui peut prétendre qu’elle n’eût pas été d’un appoint tout aussi considérable que le fameux « facteur moral » dont on a tant abusé pour excuser l’inertie et l’incurie ! Oui, la pitié, c’était la sixième arme…

Nous en avons douté. À peine est-elle sortie du fourreau qu’on l’a jugée tout de suite suspecte ! Honte à nous ! Nous n’avons pas su la brandir et nous ne pouvons pas calculer de quelle force nous