Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/311

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LEVASSEUR.

Sache ce qui se passe dans la vie de ton père, pénètre au delà de ses aspects, de cette surface aimable dont nous recouvrons tous plus ou moins notre vie intérieure ! Va jusqu’au cœur de celui qui t’a donné le jour… Car, vois-tu, ç’a été un homme comme les autres, ton père, avec ses faiblesses, ses tares, ses qualités aussi, ses petitesses, et qui sait, peut-être aussi ses vertus… J’ai mon secret, Philippe… Il y a un mystère dans ma vie, un mystère que je vous ai soigneusement tenu caché. Aujourd’hui il n’y a plus d’inconvénients à ce que je te fasse l’aveu d’un passé que tu ne peux plus ignorer longtemps. Je considérerais maintenant comme un crime de prolonger ton ignorance sur ces choses révolues… Tu dois les connaître et les juger… (Un temps.) Tu n’es pas mon seul enfant, Philippe !

PHILIPPE.

Papa !

LEVASSEUR.

Ne te trouble pas… Écoute… À dix-neuf ans, échappé de rhétorique, gamin ricaneur, ni chaste, ni vicieux, externe comme toi à Janson, quand je rentrais à la maison à l’heure du déjeuner, je lutinais bêtement et sans conviction aucune la pâle couturière à la journée qui s’étiolait chaque jour à la fenêtre du corridor… Je n’eus pas même l’excuse d’un semblant d’amour… (Levasseur s’assied.) Inconscience et vilenie de l’enfance… Mais la face des choses changea pour moi quand cette fille accourut un jour, affolée, à la sortie du lycée… « Je suis enceinte ! » Alors, ce fut la honte, l’épouvante ! L’idée me vint de souffler le crime à cette malheureuse que je haïssais pour l’humilia-