Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/353

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du turbin… mes idées ont changé… On s’aigrit dans ce fourbi-là. Avant, j’étais résigné, pacifique. Mais j’ai fait la guerre, j’ai été parmi ceux qui ont souffert leur vie chaque jour pour sauver ceux qui la leur ont plus ou moins donnée !… Là-bas, tout m’est remonté dans un coup de rancœur… Je suis devenu… comment dire ?… un peu anarchiste… J’ai eu le temps de trop réfléchir à l’organisation de la société… Vous comprenez… à toutes les injustices… Ce que pendant trente ans j’avais si commodément supporté, m’est apparu tout à coup intolérable… révoltant… En sorte que, lorsque ma mère m’a écrit qu’elle allait vous prévenir, j’ai répondu tout de suite : Te presse pas, laisse donc, patiente… Il faudra leur dire leurs quatre vérités… Je veux y aller moi-même, lui annoncer dans le blanc des yeux que j’ai encore ma peau et qu’elle est matriculée à son nom. »

LEVASSEUR, (l’interrompant.)

Et vous m’avez en face de vous, mon enfant… Vous pouvez parler en juge… vous en avez le droit… Je ne sourcillerai pas…

PAUL.

En juge !… Oh ! oh !… Il y a quelques semaines, peut-être, dans le feu du retour, oui !… J’aurais dû venir vous trouver illico… J’ai attendu exprès. Quelques semaines, c’est énorme pour une idée… Avez-vous remarqué, Monsieur, comme on passe son temps à changer d’idées ? Là-bas, dans le camp des prisonniers, c’était la révolte, le chambardement social… tout le fourbi !… Quand on est revenu, il y en avait qui serraient les poings et qui avaient la voix rauque… La guerre rend méchant… Et puis, sous le veston retrouvé… dans la