Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 7, 1922.djvu/220

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fois rompu le silence ! Je vous remercie de comprendre, sans vous apitoyer, ce qu’est le délire de cette minute que je vis, en attendant le jour où plus un souffle ne montera vers le miroir !… Maintenant, Altesse, laissez-moi vous baiser la main, respectueusement, puis, regagnez, si vous le voulez bien, la voiture, où ma mère vous attend… Je dois rester ici. Oui… je veux rêver encore parmi ces prairies… encore un moment… Vous me retrouverez en bas, tout à l’heure, pour le dîner où je dois étrenner une très jolie robe que l’on vient de m’envoyer de Paris : je compte sur un succès ! (Elle rit encore.) Vous verrez… filet, dentelle, sur un crêpe orange, c’est très joli…

(La princesse fait quelques pas parmi les rochers où elle reprend son livre : Pascal.)
LA PRINCESSE ÉLÉONORE, (avec une grande respiration.)

Qu’il est triste, ce soir, le vent de la mer !… Et moi qui, lorsque j’ai vu notre yacht si brillant, si paré, si joyeux, me disais : « Voilà ceux qui arrivent avec toute la fraîcheur des premiers enivrements. » Je regardais mon bateau à moi, mon Cydnus et avec une si égoïste mélancolie !… ce bateau qui devait s’appeler : Nevermore !… Regardez-les en bas nos deux cygnes blancs, pour Lohengrins de pacotille !… Alors c’est donc toujours la même histoire, les mêmes solitudes tragiques et banales ?… Nous sommes les désœuvrés de la mort, que ce soit mon vieux page ruiné, Osterwood, la poitrinaire de l’hôtel… ou la morne souveraine avec son Pascal et son alpenstock… les partisans de l’exil avec devant nous la mer… la mer sur laquelle on rêve éternellement de voir se lever le désir… Des arbres, du ciel, des