Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 8, 1922.djvu/362

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ce qui est spécial à la jeunesse et qu’on ne retrouve pas dans les autres amours… une sensualité mêlée à la joie physique de nos vingt ans… ça, c’est l’irréparable !

JUSSIEUX.

Oui, la sensualité de la jeunesse c’est si différent de celle qui vient après… J’ai souvent songé qu’à l’heure de la mort ce ne sont pas les vastes adieux, les grandes raisons qu’on a eues de vivre, qui doivent vous hanter, mais de minuscules images de bonheur, une promenade, un paysage, une soirée passée dans la joie… C’est cela, peut-être, qui constitue la part la plus lourde du renoncement !

HONORINE.

Ainsi, Armand ! quel bonheur !… vous aussi, vous étiez atteint de cette maladie du souvenir ? Vous ne pouvez imaginer le plaisir que vous me faites !… Alors, comme j’ai eu tort de venir ce soir !

JUSSIEUX.

Pourquoi donc ?

HONORINE.

J’ai tant de honte d’être devant vous… moi qui suis devenue une vieille femme !… Il ne reste plus rien de moi !… Si vous avez gardé, comme vous le dites, un intense souvenir de notre jeunesse, en substituant l’image nouvelle à l’ancienne, je vous aurai gâché ce souvenir. C’est déjà un crime bien suffisant ! J’aurais peut-être tari en vous une source d’émotion favorite ; Armand, dire que tout le prestige du passé finit peut-être aujourd’hui en ce moment même où nous l’évoquons. Comme ce serait triste !