Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 9, 1922.djvu/120

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BOUGUET.

Mais je ne le ferai pas. Je ne dois pas le faire, je ne le dois pas. Moralement, j’ai vis-à-vis de mon ami un devoir qui doit toucher au scrupule. Le silence total est préférable. Tout rapprochement, s’il t’apportait un bienfait et du courage, serait tout de même un pas en arrière… Mais oui… je crains tes bras tendus… (Se reprenant.), quoique je te prie de n’avoir aucun doute là-dessus, je n’éprouve pour toi qu’une profonde sollicitude…

(Il le dit sèchement, presque durement.)
EDWIGE.

Quelle cruauté ! prononcez donc au moins le mot amitié, s’il ne vous écorche pas la bouche !…

BOUGUET, (avec une force croissante.)

Une très profonde amitié, oui.

EDWIGE.

Et puis, ne dites plus rien. Que font les mots !… Voyez, on va, on vient. Accordez-moi ces cinq minutes silencieuses, je vous en supplie. Si vous ne voulez pas me les accorder ici, que ce soit n’importe où, tenez derrière notre maison, dans une allée, dans plus d’ombre encore… que je sente, en ce soir si bon pour tous, si cruel pour moi, vos lèvres sur mon front. J’en aurai peut-être pour une année de courage !… Vous verrez, j’arriverai au but, mais d’ici là… oh ! d’ici là… par pitié… ne me refusez pas cette seconde… Je meurs de solitude et de courage vain… !

BOUGUET.

Je la refuse.

EDWIGE, (tombant à genoux.)

Oh ! c’est trop ! c’est un luxe de cruauté inutile. Pour qui cette cruauté, pour qui ?… Vous