Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 9, 1922.djvu/155

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Deux années avaient effacé presque totalement dans mon souvenir cette minute d’entraînement… et qu’elle ait pu engager l’avenir et la vie de cette enfant, voilà ce que je me refusais à admettre ! La seule chose que je pouvais faire, c’était de te dissuader de cet amour ! Je l’ai tenté… si, si, rappelle-toi. Pendant un mois je me suis employé à refréner délicatement ton amour ! Peine perdue !… La balle était partie et faisait sa trajectoire ! Tout le monde, toi, Edwige elle-même, ma femme, tous rayonnaient ! Trop d’espoir de joie était en jeu. Et je serais venu, moi… de quel droit ?… avec mes scrupules de conscience, une franchise impossible, détruire un avenir aussi plein de promesses !… Allons donc ! En parlant, je n’aurais fait que des ruines !

BLONDEL.

Mais non, c’est ta lâcheté, tes calculs, qui t’ont arrêté !

BOUGUET.

C’est ma bonté ! ma bonté seule !… mon désir du bien, ma confiance dans les forces vives de la nature, dans la puissance grandiose du temps qui répare, qui façonne, qui harmonise tout. (Blondel est assis. Bouguet se met à genoux, du geste malhabile d’un homme qui n’a pas l’habitude des génuflexions. Cet homme d’âge vient de le faire, presque comme un enfant.) Regarde, ton vieil ami est à tes genoux. Regarde-moi à travers ta colère, Paul, ta légitime colère et tes souffrances de grand enfant douloureux. C’est ce qu’a eu de pur et de charmant notre amitié passée qui va nous sauver. Faisons appel à tout ce qu’il y a de meilleur en nous, de plus noble. Ne te laisse pas abattre. C’est vrai, il y a, d’une part, contre nous, les misères et les préjugés, mais il y a aussi, pour nous sauver, les radieuses