Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 9, 1922.djvu/392

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fallu saper beaucoup de branches !… Mais ça donnera… L’arbre repartira… de la cime !

BOCQUET.

Oui, Madame, vous vous êtes occupée d’un enfant et vous me rendez un homme, comme vous dites !… Pour qu’il le devienne tout à fait, il lui manquait la douleur : la voici, elle arrive, terrible… amère… Mais, après ce baptême, je vous garantis, et j’en réponds, il se relèvera plus fort, plus retrempé, il travaillera, il deviendra quelqu’un… il l’est déjà ! Moi, Madame, je vous bénirai toujours !…

FRÉDÉRIQUE.

Et plus tard, quand il sera consolé… car il se consolera… il est très jeune… il fondera un autre foyer… c’est fatal… il sera encore aimé… il sera heureux… vous voyez, j’ai la force de le souhaiter… alors moi, je serai toute seule, toute vieille… j’assisterai de loin à cette métamorphose… Elle ne l’aimera pas autant que j’ai pu l’aimer, parce que ça c’est impossible !… Oh ! oui, c’est impossible !… Mais ce sera une consolation pour moi de savoir qu’il est heureux, même avec une autre que moi. Je vivrai avec cette idée et ce souvenir, jusqu’à l’heure terrible où les yeux se ferment, jusqu’à ce jour où il recevra, dans des années, une petite lettre de deuil qu’il ouvrira et qui lui apprendra qu’une âme est partie en pensant à lui. Car vous lui direz cela : «Au dernier moment, c’est son image qui sera devant mes yeux… c’est son nom que je prononcerai, je le lui promets : Julien ! Julien !… » (Monsieur Bocquet s’avance vers Frédérique et lui embrasse la main.) Au revoir ! Monsieur, ou plutôt adieu !… Alors, l’auto…