Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/40

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de faire subir sa tyrannie aux esprits indépendants et d’imposer le silence aux élans généreux et à la contrition de l’Europe. Ah ! la simple bonté, comme nous en reconnaissons intérieurement la puissance depuis que nous sommes privés de son effluve ! Nous nous reportons aux grandes paroles évaporées aujourd’hui et qui émanaient de l’expérience nazaréenne ; nous comprenons que l’humilité qu’il y a dans la charité est peut-être sans qu’il y paraisse une force tout aussi habile que les diplomaties d’état modernes, une source qu’on n’a pas captée parce qu’on la méprisait. On l’a laissée se dériver au hasard. Après cette débauche d’erreurs, l’intelligence humaine aura un gros effort à faire pour reprendre son altitude et reconquérir son rang ! Il faudra qu’elle aussi connaisse l’humilité et ce n’est qu’en confessant son erreur qu’elle recouvrera sa beauté.

Peu à peu heureusement des modifications tardives se produisent, trop tardives hélas ! pour qu’elles aient quelque poids maintenant dans les solutions du conflit. Des filets de lumière annoncent l’invasion future du soleil. Il viendra ! Il éclairera les peuples ! Dans le simple domaine de la littérature, nous venons d’avoir une belle œuvre de pitié et de réalité stricte pour l’appréciation de laquelle il est permis d’employer l’adjectif numéral cardinal. Ce n’est qu’un roman mais il nous a ouvert des espaces que l’on retenait prisonniers. C’est Le Feu d’Henri Barbusse. Sévère et puissante accumulation de témoignages, accent d’une âme fiévreuse et fraternelle, ce livre a déjà et aura de jour en jour plus encore une répercussion salubre. Or, je ne sache pas que ces pages où la vérité saigne tout entière, et qu’un cœur passionné d’espérance a dicté, aient affaibli nos courages, déprimé les soldats par le récit de