Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 11, 1922.djvu/19

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Combien de généraux victorieux, par exemple, qui devaient être de véritables crétins, bénéficièrent de la fameuse ligne de coïncidences, et que le sentiment universel a haussés au pavois ? La postérité elle-même, cette cour d’appel, se contente la plupart du temps de confirmer les arrêts rendus sans preuves décisives. Sélectionnant un peu au hasard ses admirations et ses passions, elle a vite fait, quand elle le juge nécessaire, d’ériger des images ou des bustes, qu’elle croit exemplaires parce qu’ils ont la rigidité des formules. S’il le faut même, elle crée des légendes de toutes pièces en prenant prétexte d’un simple nom, autour duquel elle dispose ses motifs décoratifs.

Au personnage authentique et plus humain on préfère substituer une idole parée, fatalement plus conventionnelle, tant il est vrai que cette force ancestrale des conventions altère sans répit la mobile et fuyante vérité !…

Mon petit conte irrévérencieux présente la double face : effigie et réalité, et, à côté de la légende glorieuse, tout imaginaire de l’amant supérieur, alias l’Homme à la Rose, l’éternel Don Juan — on verra justement s’opposer cette sincérité nue que chacun emporte au tombeau, cette vérité de soi, humble petit paquet de chair et d’âme, ni pire, ni meilleur qu’un autre, et qu’on s’en vient remettre immanquablement aux pieds de celle devant qui expire tout orgueil, tout rêve et tout mensonge !…

La pièce, qui s’ouvre sur des buccins d’amour impétueux, se termine par l’acte le plus humble, le plus naturel, le plus dépourvu d’idéalisation qui soit. Dans ce dénouement — plutôt conclusion que dénouement — prière de ne voir de la part de l’auteur aucun nihilisme philosophique ! Ce