Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/204

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vous !… Votre vue m’est devenue insoutenable, elle est un coup de couteau en plein cœur… mais pourquoi vous en voudrais-je ?… N’est-ce pas moi qui me suis accrochée à vous, que je n’aimais pas pourtant… n’est-ce pas moi qui, ne pouvant supporter l’idée de la chaîne de misère, vous ai retenu au moment où vous alliez partir ?… Qu’est-ce que je suis, moi ?… Une prostituée… une femme bien méprisable !… Votre responsabilité se réduit ici à : « homicide par insouciance ».

SERGE.

Et moi j’affirme que le plus criminel c’est bien moi… car je n’ai pas eu la raison que j’aurais dû avoir pour deux, lorsque vous vous êtes offerte éperdument à Nice ! Le sentiment de la catastrophe s’est dressé à cet instant devant moi… Mais votre offre était si immédiate, si farouche !… N’étiez-vous pas trop désirable d’ailleurs pour qu’on vous refusât ?…

JESSIE.

Je réclame ma part d’expiation… Deux bourreaux ont mis ce petit dans l’étroit espace où il repose maintenant… Il n’y a peut-être pas de plus grand assassinat que celui de la jeunesse… C’est elle la plus grande beauté de la vie… Qu’avons-nous fait ? Q’avons-nous fait ?

(Elle sanglote.)
SERGE.

Ah ! je revois le jour heureux, gai de soleil, où je suis entré, la première fois, dans cette pièce, ce jour où je laissais joyeusement libre cours à mes facéties de vieux jeune homme… Et nous retrouver là, pas même un an après, moi dans cette attitude repentante, vous dans cet accable-