Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/216

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JESSIE.

Non, non… Jamais… jamais plus ! Quelle horreur, cette idée !… On peut vivre sans amour !… Je vous l’ai dit : je vivrai seule… Je ne veux plus appartenir à personne.

CHAVRES.

Mais c’est impossible, mon enfant !…

JESSIE.

Le remords de n’avoir pu supporter la misère me soutiendra. Je travaillerai ; il y a des métiers honorables.

CHAVRES.

Lesquels ? Pour une jeune femme de votre sorte ?… Non, tant que la société sera organisée comme elle l’est, ce sera un vœu héroïque et vain que celui que vous formulez là !… Et puis, le travail ne s’improvise pas, ou il n’est que misère… D’ailleurs, quand votre deuil sera éteint en vous-même, vous vous apercevrez vite que la femme doit toujours appartenir à quelqu’un. C’est la loi. Tant, du moins, que son célibat sera suspect, dans une société qui vit sous la loi de l’homme, son rôle demeurera d’être possédée… oui, possédée dans toute la force du terme, par ses maîtres, ses conquérants, bons ou mauvais. Autrefois, on disait : « La femme est créée pour le guerrier. » Nous avons amélioré la formule, mais croyez-en ma vieille expérience… à moins que la vie ne l’ait faite riche, artiste ou savante, elle est la satellite de l’homme, malgré le cri de révolte que vous poussiez tout à l’heure… C’est la loi.

JESSIE.

Elle est inique… J’y échapperai, à cette loi des maîtres, je vous le garantis !