Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/219

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devinant votre état d’âme, c’est dans l’intention de vous offrir cette retraite que je suis venu ici…

JESSIE.

Puis-je le croire ?

CHAVRES.

La meilleure preuve, c’est que je suis allé ce matin à Chantilly et que j’en reviens directement. À tout hasard, j’ai donné des ordres pour que cette maison toujours ouverte fût prête à vous recevoir… On vous attend, vous n’avez qu’à y entrer.

JESSIE.

En tout cas, l’intention me touche… Oui, de votre part… c’est si bon… Pour la première fois, depuis cinq jours, une voix n’irrite pas mon chagrin… (Avec crainte.) Si j’acceptais cette amitié visiblement sincère, mais sans récompense aucune, quel serait votre bénéfice à vous ?

CHAVRES.

Mon bénéfice ? (Un silence.) Avez-vous jamais ramassé, Jessie, un oiseau saignant dans l’œil duquel la vie subsiste encore ?… On le ranime dans la maison petit à petit ; les forces reviennent, les plumes se reforment sur les cicatrices !… Il faut laisser libre, dans une chambre, ce malade sauvage qui se remet à penser à l’azur… Un beau jour, quand on juge que l’heure est venue, on ouvre la fenêtre… Alors, avec un grand cri, l’oiseau s’envole, sans même se retourner vers la maison ni les êtres qui l’ont aidé… On le regarde partir en souriant. Que reste-t-il ? Le souvenir d’une petite amitié sans réciprocité, d’une présence qui fut tendre, jolie, la satisfaction amère d’un bienfait, peut-être… Voilà exactement quel