Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/287

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prononcez là, tenez, même quand on ne les entend que tous les dix ans, ça suffit à vous consoler de tant de peines supportées !… Allez, je vous connais… et, en toute sincérité, je le répète : vous ne pouviez pas beaucoup mieux que ce que vous avez fait…

LEVASSEUR, (haussant les épaules dans son fauteuil.)

Est-ce encore un reste d’illusion de votre jeunesse qui vous fait dire cela de moi ?

JEANNE.

Non… Je sais que vous avez obéi, comme bien des hommes, à des raisons graves qu’il n’était pas en votre pouvoir d’enfreindre… C’est vrai !… et peut-être avez-vous souffert en silence plus qu’on ne pourrait le croire de cet abandon volontaire que vous avez fait de votre fils !… Et, tenez, s’il m’arrivait de grands malheurs… (Petit mouvement de Levasseur.) Si je devenais infirme, impotente, ou si je mourais… Eh bien ! au fond de vous, sans rien dire, je suis persuadée que vous accorderiez souvent plus d’une pensée à ce que fut notre jeunesse d’un moment… Aussi…

LEVASSEUR, (l’interrompant doucement.)

Pourquoi voulez-vous m’émouvoir aujourd’hui ? Ce n’est pas dans vos habitudes, Jeanne… Vous êtes malheureuse ?…

JEANNE, (reprenant avec effort.)

Aussi, je ne voudrais pas, si le malheur, précisément, le vrai tombait sur nous, Levasseur. Nous ! nous, c’est-à-dire mon fils et moi, je ne voudrais pas que vous l’appreniez brusquement, sans préparation, parce que je sais, moi, que votre cœur est bon !