Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/312

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tion qu’elle imposait à mon cœur orgueilleux de petit bourgeois. Je n’osai pas, je me résignai, hanté par cette seule idée : cacher la chose à mes parents, éviter la vindicte paternelle et les responsabilités de l’avenir ! Par bonheur, j’étais tombé sur une créature très douce, très humble, sincère dans son amour, résignée à tout… Aucun esclandre, aucune velléité de chantage n’était à craindre… Pour excuse, j’avais mes dix-neuf ans, tout écrasés sous l’importance de ces événements secrets ! Je me sentais mortifié jusqu’au fond des moelles par la vulgarité de l’aventure, par l’ineptie d’une vie gâchée peut-être à son aurore, à cause de cette Juliette à trois francs la journée !… Ma paternité précoce me semblait une tare indélébile… Quand l’enfant vint au monde au fond d’une mansarde, je ressentis pour lui une aversion terrifiée. Une véritable phobie me faisait même éviter dans mes courses le quartier de Paris où ce petit être commençait à menacer mon avenir… Je fis quelques dettes qui me permirent de subvenir aux besoins de la mère… Pas une minute, naturellement, l’idée de reconnaître l’enfant ne me vint à l’esprit, et pas une fois la mère n’eut l’audace de me le proposer… Néanmoins, c’était chez moi une gêne obscure, l’appréhension d’un chantage toujours possible. C’est pourquoi je voulus, coûte que coûte, me réfugier dans le mariage, comme dans une solution définitive. Il me semblait que, marié, absous, la vie enfin réalisée sous l’égide des lois, je n’aurais plus à redouter la résurrection de mon passé. Je me mariai donc à un âge absurde, inaccoutumé… Tu vins au monde et je goûtai enfin sans remords les joies salubres de la paternité… L’autre, l’intrus, oh ! je ne l’abandonnai pas complètement ! La mère m’avait appelé au moment d’une fièvre