Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

PAUL.

Quand j’étais mort… Maintenant que je suis un stock de liquidation…

JEANNE.

On t’envoie me chercher et patatras ! Enfin, je n’ai pas eu la berlue ! J’ai vu cet homme, l’année dernière, se frapper la poitrine quand j’ai apporté la nouvelle de ta mort. Depuis, il m’a parlé de toi dans des termes si douloureux, si bourrelés de remords… Il m’assurait que sa femme et son fils vénéraient ta mémoire. Et si tu avais été vivant ! que n’aurait-on pas fait pour toi ?… Que veux-tu, tout de même, j’ai l’impression très nette qu’à cause de toi il a passé sur cette maison comme un souffle d’air pur, d’enthousiasme !…

PAUL.

C’est probablement vrai… Vois-tu, l’erreur est toujours de vouloir que les méchants soient d’un côté et les bons de l’autre, c’est plus compliqué que ça, maman ! Tous ces bourgeois farcis d’égoïsme pataugeaient dans leur bien-être… Ils ont senti passer sur leur tête, comme tu dis, un grand souffle, le souffle terrible de la guerre, car la guerre, si laide qu’elle soit, a soulevé de la beauté comme la tornade soulève tout dans la poussière… Les canards, dans leur basse-cour, ont battu de l’aile… Tu sais, lorsque les cygnes passent dans le soleil… Ils se sont dressés sur leurs pattes ! Il y a eu la contagion de la beauté… l’élan. Puis, le grand souffle apaisé, ils retournent à leur mangeoire et à leur petite paix de volaille grasse… Après le coup d’aile, tout reprend. Mesquineries et appétits. Ils se sont retrouvés tels qu’ils étaient auparavant… Messieurs, la vie continue !