Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 3, 1922.djvu/73

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Depuis, j’avais bien appris, par une lettre de mes tantes, qu’elles avaient été contraintes de se séparer d’elle, comme elles disaient… Et je ne m’en étais pas autrement occupé… Quelquefois l’idée m’a traversé l'esprit… Je me disais : qu’a-t-elle pu devenir ? mais, au fond, j’évitais d’y songer ; et maintenant, tout à l’heure, la ressemblance était tellement grande et la coïncidence tellement étrange que je me disais : non… non… ce n’est pas possible… elle s’appelle la Maslowa, d’abord, ce n’est pas le même nom… je suis bête !… Mais lorsque le président lui a dit : la Maslowa, c’est votre surnom public, je vous demande votre nom de baptême, elle a répondu tout bas, avec une petite voix qui m’a bouleversé : autrefois, on m’appelait Catherine… Catherine !… c’était elle ! Je distinguais clairement, à présent, sur son visage encore doux et joli, cette particularité mystérieuse qu’il y a dans chaque visage et qui le rend différent de tous les autres, en fait une chose unique, spéciale sans équivalent. Cette prostituée, mon ami, je l’ai pressée autrefois délicieusement sur mon cœur.

NIKHINE.

Je comprends… Mais que voulez-vous ?… tout le monde a dans sa vie…

NEKLUDOFF.

Oui, tout le monde fait ainsi… C’est comme cela que je parlais autrefois, pour étouffer toute conscience… Mais il y a une autre chose… il y a une autre