Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 6, 1922.djvu/209

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Va, je ne trahis plus à présent, ne crains rien.
Tu me retrouveras tout le long du chemin,
dans la banalité odieuse des jours,
dans un détail, dans un parfum, dans un contour.
Quand tu marches, je suis sur le trottoir en face…
Je me blottis au fond d’un fiacre contre toi…
Tu retrouves ma main sur les coussins de soie.
Je suis là, dans le bruit de la femme qui passe,
au fond d’un soir perdu, dans le mot que tu lis,
dans l’ennui d’espérer, dans ta mélancolie…
À quoi bon résister ? Tu vois, je t’accompagne.
j’ai mis ma robe blanche et laissé mon chapeau
Pour courir comme je faisais dans la campagne…
En chemin, j’ai cueilli des fleurs et des rameaux.
Aujourd’hui, c’est soir d’août, il fait bon, il fait beau…
Allons nous-en… Crois-tu que sur ce canapé,
près d’elle, ton affreuse espérance d’aimer
ne cherche pas obscurément mon front chéri ?
Ton cerveau, dans un demi-sommeil, me prolonge.
Tu lis, tu fais semblant de lire… Non, tu songes.
Tu rêves à mon sein comme on songe au pays,
tu penses à mes yeux comme on rêve à la mer…
Mon enfant, mon enfant, reprenons notre songe.
Pense à moi dans ses yeux, pense à moi dans sa chair.
Croyais-tu donc avoir enfin assez souffert,
que tu voulais te séparer de moi, ingrat ?…
Ce n’était pas possible, enfant. Me revoilà !

LUI, (d’un mouvement irrésistible referme brusquement le livre, rejette la plume et se lève.)


De la lumière, je vous prie, de la lumière !
Nous sommes trop dans l’ombre… l’ombre m’exaspère.

(Elle, complaisamment, va au mur et donne la lumière électrique.)


Encor I Encor !