Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 8, 1922.djvu/330

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dresse, quand tu es arrivée à un âge où ton avenir pouvait en souffrir, quand je t’ai reprise chez moi, l’être qui avait alors mon affection depuis plus de cinq ans, ma dernière illusion d’amour… j’ai eu le courage de m’en séparer.

HENRIETTE.

Je n’ignorais pas, en effet, qu’il y avait eu dans ton existence une séparation déchirante.

HONORINE.

Affreuse… affreuse… comme la mort ! Mais tu ne savais pas que c’était pour toi ! Cela, je te l’apprends, parce que c’est l’exacte vérité. Tous les moyens de nous unir, nous les avions essayés. Nous nous heurtions à une de ces fatalités qui sont si nombreuses, mon enfant, dans la vie et qui rendent tout rapprochement légal impossible. Pourtant, cette tendresse réciproque était appelée encore à nous fournir bien des années heureuses. J’ai eu l’énergie, en plein amour, de rompre, de rendre la liberté à cet homme en déchirant mon bonheur !… Ce que j’ai souffert, mon Dieu, ce que j’ai souffert, personne ne s’en est douté ! À ses yeux à lui, la raison de notre séparation ne sembla pas valable. Il me disait : « Une fille, une fille de seize ans qui va bientôt être libre de disposer de son sort. » Eh bien ! non, ma résolution était prise, je ne devais plus t’éloigner. Je voulais que la place fût nette… Elle l’a été ! À quel prix… Ah ! que viens-tu de me forcer à te dire, ma chérie ?… J’aurais mieux aimé perdre les yeux, la raison, que sais-je !… plutôt que de renoncer à cet amour !… Lui se raccrochait… Il me suppliait !… oh ! le dernier jour !… notre dernier rendez-vous aux environs de Paris, à Bois-le-Roi !… Mon Dieu, mon Dieu, j’y repense quelquefois en tremblant !…