Page:Baudeau - Première Introduction à la philosophie économique.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la société : ils imaginent qu’il ne s’agit que de l’intérêt de tel ou de tel ouvrier.

C’est par cette erreur que la plupart des Tribunaux d’Europe se sont laissés séduire. Des Compagnies qui se seroient fait le plus grand scrupule de décider une question d’une pistole contre un particulier, sans qu’il eût été partie dans la cause, et qu’il eût pû faire entendre ses raisons, ont cru mille et mille fois qu’il leur suffisoit de consulter les maîtres de [208] telle ou telle profession, pour adopter tels ou tels réglements exclusifs des choses ou des personnes ; ils n’ont pas pris garde qu’ils sacrifioient là d’un trait de plume la liberté de plusieurs milliers d’hommes nés et à naitre, non-seulement comme travailleurs, mais encore comme jouissants ou comme consommateurs ; ils n’ont pas pris garde qu’ils les jugeoient sans les entendre, et leur faisoient d’avance une espece de crime d’un usage très légitime de leurs facultés et de leurs propriétés.

Heureusement notre siécle se corrige de cette antique barbarie : des princes philosophes, de grands Ministres, d’habiles administrateurs du second ordre, des Magistrats et des Tribunaux entiers éclairés sur les vrais principes, ont adopté pour législation, ce mot sublime laissez-les faire, qui mériteroit d’être gravé en lettres d’or sur une colomne de marbre, dont il faudroit orner le tombeau de son [209] Auteur, en brûlant au lieu d’encens au pied de son image placée sur cette colonne, les recueils énormes, sous le poids desquels gémissent dans notre Europe les manufactures et tous les arts, qui nous logent, nous meublent, nous vétissent ou nous amusent.

La puissance souveraine de l’Etat, protectrice des propriétés, doit donc procurer aux ouvriers qui façonnent, et aux consommateurs qui veulent jouir, liberté parfaite, immunité totale ; c’est la justice ou le devoir de l’autorité garantissante.

Elle doit répandre, maintenir, confirmer et perfectionner le goût, l’émulation, l’industrie, le savoir, qui font prospérer tous les arts ; c’est le second devoir du Souverain, trop négligé sans doute pendant plusieurs siecles parmi les Nations modernes de notre Europe.

Car le hasard a presque seul fait éclore les chefs d’œuvre les plus précieux de [210] l’industrie. Bien loin d’être excités et récompensés par un Gouvernement paternel, les premiers inventeurs, les plus illustres perfectionneurs des arts n’ont que trop été persécutés