Page:Baudeau - Première Introduction à la philosophie économique.djvu/168

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[376] Le peuple ignorant et abruti ne vous offrant nulle résistance, nulle idée contraire à vos caprices, ils seroient aussi-tôt satisfaits qu’adoptés, vous n’auriez pas le loisir d’y réfléchir, vous ignoreriez la majeure partie des maux qui en seroient la suite, ils ne vous jetteroient pas dans la nécessité de punir des hommes innocents et vertueux, pour le refus juste et glorieux de coopérer à vos délires ; vous n’auriez pas à braver la haine et le mépris public, formels et indubitables. Vous n’auriez donc ni le temps, ni les motifs de délibérer sur l’accomplissement de vos fantaisies, ni de raisons puissantes pour les rétracter.

Ailleurs cette universalité d’idées contraires, cette disposition générale des victimes de vos attentats à les éluder autant qu’il seroit humainement possible, soit par la force, soit par l’adresse ; cette horreur des mandataires de l’autorité à s’en rendre complices ; cette indigna[377]tion générale de tous les témoins, vous constitueroient vous-même dans un état totalement différent de l’autre.

Toutes volontés de l’homme sont mobiles et transitoires, sur-tout les fantaisies arbitraires et déréglées. Je vous suppose le même degré de passion ; si vous aviez affaire au premier de ces peuples, je ne doute presque point que cette passion ne soit satisfaite avant que ses mouvements soient appaisés. Si vous aviez affaire au second, je conçois de vous-même quelques espérances, et tout homme raisonnable sera de mon avis, parceque notre vouloir dépend des moments, des circonstances et des opinions environnantes : quatrieme différence.

Ces passions des Souverains, et de ceux qui les approchent de plus près, sont donc en effet d’autant plus redoutables, que l’ignorance des principes de la justice et de l’ordre est plus profonde [378] et plus universelle dans le peuple. Elles sont d’autant moins funestes que l’instruction a plus répandu ces principes salutaires et les sentiments qui les accompagnent.

Ils en sont intimement persuadés, ces hommes lâchement avides de crimes, qui mettent leur plaisir et leur gloire à fouler aux pieds tous les droits de l’humanité. Il n’est rien qu’ils redoutent autant que l’instruction, autant que le langage de la raison et de la justice ; on a toujours vu, on verra toujours une guerre ouverte entre les philosophes qui éclairent le monde, et les usurpateurs qui veulent le dominer, le tromper, le dépouiller au gré de leurs caprices.