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travail d’autrui ; ils enlevent à d’autres hommes des jouissances que ce travail leur auroit procurées : ou, ce qui revient au même, ils les empêchent de se procurer ces jouissances. Ceux-là sont criminels.

Or, il y a, comme on sait, des dégrés dans le crime ou dans l’usurpation des jouissances.

Il est impossible d’usurper des biens, sans causer une diminution dans la masse totale. C’est-à-dire, que toute usurpation rend nécessairement et infailliblement cette masse moindre qu’elle n’auroit été sans l’usurpation. Car l’usurpateur emploie toujours une force, une [35] industrie, une avance plus ou moins grandes, à dépouiller autrui. S’il les employoit à quelques travaux d’un des trois arts qui constituent les etats policés, les fruits de cet emploi ou de ce travail existeroient de plus.

La grandeur du crime est donc proportionnelle au délit ou à la destruction. C’est à-dire, au préjudice que l’usurpation cause à la masse générale des biens, ou à la somme totale des jouissances utiles ou agréables.

Presque toute usurpation de jouissances détruit beaucoup plus de biens qu’elle n’en attribue à l’usurpateur. Il en est de telle sorte, que l’usurpateur détruit mille et mille fois plus qu’il ne jouit. Que ceux-là sont détestables, quand ils savent le mal qu’ils opérent ! Qu’ils sont malheureux, quand ils ne le savent pas ! détruire, usurper, empêcher les jouissances : voilà donc le délit.

Le contraire du crime qui détruit, [36] c’est la bienfaisance qui augmente la masse générale des biens ou la somme totale des jouissances par une espece de création. C’est-à-dire, par l’accroissement continuel et progressif des travaux qui appartiennent aux trois arts caractéristiques des sociétés policées, à l’art social, à l’art productif, à l’art stérile.

La bienfaisance (j’entends la bienfaisance générale, en grand, qui a pour objet l’espece humaine toute entiere, non la bienfaisance particuliere en petit, qui a pour objet de compassion ou de générosité tel ou tel individu) la bienfaisance est donc proportionnelle à l’accroissement que reçoit la somme totale des jouissances utiles ou agréables, qui font le bien-être et la perpétuité de notre espece.

Entre la bienfaisance créatrice et l’usurpation destructive, il y a la justice, qui consiste à mériter sa portion dans la masse générale existante, sans concou[37]rir à son accroissement, mais aussi sans nuire, sans empêcher et sans usurper.