Page:Baudelaire - Œuvres posthumes, I, Conard, 1939.djvu/238

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ait pour les pauvres. Henri Heine était méchant, — oui, comme les hommes sensibles, irrités de vivre avec la canaille ; par canaille, j’entends les gens qui ne se connaissent pas en poésie (le genus irritabile vatum).

Examinons ce cœur d’Henri Heine jeune.

Les fragments que vous citez sont charmants, mais je vois bien ce qui vous choque, c’est la tristesse, c’est l’ironie. Si J. J. était empereur, il décréterait qu’il est défendu de pleurer ou de se pendre sous son règne, ou même de rire d’une certaine façon. Quand Auguste avait bu, etc.

Vous êtes un homme heureux. Je vous plains, monsieur, d’être si facilement heureux. Faut-il qu’un homme soit tombé bas pour se croire heureux ! Peut-être est-ce une explosion sardonique, et souriez-vous pour cacher le renard qui vous ronge. En ce cas, c’est bien. Si ma langue pouvait prononcer une telle phrase, elle en resterait paralysée.

Vous n’aimez pas la discrépance, la dissonance. Arrière les indiscrets qui troublent la somnolence de votre bonheur ! Vivent les ariettes de Florian ! Arrière les plaintes puissantes du chevalier Tannhäuser, aspirant à la douleur ! Vous aimez les musiques qu’on peut entendre sans les écouter, et les tragédies qu’on peut commencer par le milieu.

Arrière tous ces poètes qui ont leurs poches pleines de poignards, de fiel, de fioles de laudanum ! Cet homme est triste, il me scandalise. — Il n’a donc pas de Margot, il n’en a donc jamais eu. Vive Horace buvant son lait de poule, son falerne, veux-je dire, et pinçant, en honnête homme, les charmes de sa Lisette, en brave littératisant, sans diablerie, et sans fureur, sans œstus !