Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/254

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nants et originaux que les simples imaginatifs qui sont tout à fait d’esprit philosophique et qui entassent et alignent les événements sans les classer, et sans en expliquer le sens mystérieux. J’ai dit qu’ils étaient étonnants. Je dis plus ; c’est qu’ils visent généralement à l’étonnant. Dans les œuvres de plusieurs d’entre eux, on voit la préoccupation d’un perpétuel surnaturalisme. Cela tient, comme je l’ai dit, à cet esprit primitif de chercherie, qu’on me pardonne le barbarisme, à cet esprit inquisitorial, esprit de juge d’instruction, qui a peut-être ses racines dans les plus lointaines impressions de l’enfance. D’autres, naturalistes enragés, examinèrent l’âme à la loupe comme les médecins le corps, et tuent leurs yeux à trouver le ressort. D’autres, d’un genre mixte, cherchent à fondre ces deux systèmes dans une mystérieuse unité. Unité de l’animal, unité de fluide, unité de la matière première, toutes ces théories récentes sont quelquefois tombées, par un accident singulier dans la tête de poètes, en même temps que dans les têtes savantes.

Ainsi, pour en finir, il vient toujours un moment où les romanciers de l’espèce de ceux dont je parlais deviennent pour ainsi dire jaloux des philosophes, et ils donnent alors, eux aussi, leur système de constitution naturelle, quelquefois même avec une certaine immodestie qui a son charme et sa naïveté. On connaît Séraphitus, Louis Lambert, et une foule de passages d’autres livres, où Balzac, ce grand esprit dévoré du légitime orgueil encyclopédique, a essayé de fondre en un système unitaire et définitif différentes idées tirées de Swedenborg, Messmer, Marat, Gœthe et Geoffroy Saint-Hilaire. L’idée de l’unité a aussi poursuivi Edgar Poe, et il