Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/304

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ont des dettes et qui croient que le métier de poëte consiste à exprimer les mouvements lyriques de l’âme dans un rhythme réglé par la tradition ! Telle est la clef de beaucoup de succès.

On avait commencé par dire : la poésie du cœur ! Ainsi la langue française périclite, et les mauvaises passions littéraires en détruisent l’exactitude.

Il est bon de remarquer en passant le parallélisme de la sottise, et que les mêmes excentricités de langage se retrouvent dans les écoles extrêmes. Ainsi il y a une cohue de poëtes abrutis par la volupté païenne, et qui emploient sans cesse les mots de saint, sainte, extase, prière, etc., pour qualifier des choses et des êtres qui n’ont rien de saint ni d’extatique, bien au contraire, poussant ainsi l’adoration de la femme jusqu’à l’impiété la plus dégoûtante. L’un d’eux, dans un accès d’érotisme saint, a été jusqu’à s’écrier : ô ma belle catholique ! Autant salir d’excréments un autel. Tout cela est d’autant plus ridicule, que généralement les maîtresses des poëtes sont d’assez vilaines gaupes, dont les moins mauvaises sont celles qui font la soupe et ne payent pas un autre amant.

À côté de l’école du bon sens et de ses types de bourgeois corrects et vaniteux, a grandi et pullulé tout un peuple malsain de grisettes sentimentales, qui, elles aussi, mêlent Dieu à leurs affaires, de Lisettes qui se font tout pardonner par la gaieté française, de filles publiques qui ont gardé je ne sais où une pureté angélique, etc… Autre genre d’hypocrisie.