Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/305

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On pourrait appeler maintenant l’école du bon sens, l’école de la vengeance[1]. Qu’est-ce qui a fait le succès de Jérôme Paturot, cette odieuse descente de Courtille, où les poëtes et les savants sont criblés de boue et de farine par de prosaïques polissons ? Le paisible Pierre Leroux, dont les nombreux ouvrages sont comme un dictionnaire des croyances humaines, a écrit des pages sublimes et touchantes que l’auteur de Jérôme Paturot n’a peut-être pas lues. Proudhon est un écrivain que l’Europe nous enviera toujours. Victor Hugo a bien fait quelques belles strophes, et je ne vois pas que le savant M. Viollet-le-Duc soit un architecte ridicule. La vengeance ! la vengeance ! Il faut que le petit public se soulage. Ces ouvrages-là sont des caresses serviles adressées à des passions d’esclaves en colère.

Il y a des mots, grands et terribles, qui traversent incessamment la polémique littéraire : l’art, le beau, l’utile, la morale. Il se fait une grande mêlée ; et, par manque de sagesse philosophique, chacun prend

  1. Voici l’origine de l’appellation : École du bon sens. Il y a quelques années, dans les bureaux du Corsaire-Satan, à propos du succès d’une pièce de ladite école, un des rédacteurs s’écria dans un accès d’indignation littéraire : En vérité, il y a des gens qui croient que c’est avec du bon sens qu’on fait une comédie ! Il voulait dire : Ce n’est pas seulement avec du bon sens, etc. Le rédacteur en chef, qui était un homme plein de naïveté, trouva la chose si monstrueusement comique qu’il voulut qu’on l’imprimât. À partir de ce moment le Corsaire-Satan et bientôt d’autres journaux se servirent de ce terme comme d’une injure, et les jeunes gens de ladite école le ramassèrent comme un drapeau, ainsi qu’avaient fait les sans-culottes.