Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/435

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où l’enferme sa fatalité. Le voyageur lettré a poussé d’abord, à cette offre généreuse et naïve, un éclat de rire inhumain, qui certes aurait scandalisé le bon Jean-Paul, toujours si angélique quoique si moqueur. Mais je présume bien que, remis dans sa route ou dans sa routine, le voyageur pensif et philosophe aura cuvé son mauvais rire et se sera dit, avec un peu de remords, un peu de regret et le soupir indolent du scepticisme, toujours tempéré d’un léger sourire : « Après tout, la brave aubergiste avait peut-être raison ; les éléments du bonheur humain sont moins nombreux et plus simples que ne l’enseignent le monde et sa doctrine perverse. » — Ainsi les Promesses de Timothée, abominable lutte du prometteur et de la dupe ; le prometteur, ce voleur d’une espèce particulière, y est fort convenablement flétri, je vous jure, et je sais beaucoup de gré à M. Asselineau de nous montrer à la fin sa dupe sauvée et réconciliée à la vie par un homme de mauvaise réputation. Il en est souvent ainsi, et le Deus ex machina des dénoûments heureux est, plus souvent qu’on ne veut le reconnaître, un de ceux que le monde appelle des mauvais sujets, ou même des chenapans. Mon cousin Don Quixote est un morceau des plus remarquables et bien fait pour mettre en lumière les deux grandes qualités de l’auteur, qui sont le sentiment du beau moral et l’ironie qui naît du spectacle de l’injustice et de la sottise. Ce cousin, dont la tête bouillonne de projets d’éducation, de bonheur universel, dont le sang toujours jeune