Aller au contenu

Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal, Conard, 1922.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
50
LES FLEURS DU MAL.


Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
     D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
     Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
     Ou s’élançait en pétillant,
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
     Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
     Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rhythmique
     Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
     Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
     Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
     Nous regardait d’un œil fâché.
Epiant le moment de reprendre au squelette
     Le morceau qu’elle avait lâché.

— Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
     À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
     Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
     Après les derniers sacrements,