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XIV
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

qu’il put se flatter, un temps, d’y avoir réussi. Mais devant tout à son respect de la discipline, à la fermeté de son caractère, à la constance de sa conduite, il ne pouvait avoir de sympathie ni d’indulgence pour un être nerveux, inégal, toujours porté aux extrêmes, passionné de fantaisie et d’indépendance. — Et réciproquement.


Après quelques mois où il avait été vraisemblablement plus ou moins abandonné aux soins de Mariette, « la servante au grand cœur » dont Mme Aupick n’était sans doute plus jalouse[1], — Charles fut mis au collège. À Lyon d’abord, puis à Paris, suivant les changements de garnison de M. Aupick. Il semble n’y avoir guère mordu aux mathématiques, par contre il brilla dans le grec et le latin. Avec plusieurs de ses condisciples, Émile Deschanel notamment, il échangeait des bouts-rimés. Mais il n’était pas heureux, bien qu’il eût le « goût très vif de la vie et du plaisir ». Il souffrait de la rudesse des contacts qui lui étaient imposés. « Coups, batailles avec les professeurs et les camarades, lourdes mélancolies, a-t-il noté, sentiment de solitude dès mon enfance, malgré la famille et au milieu des camarades surtout, — sentiment de destinée éternellement solitaire. » Les quelques lettres qu’on a de lui pour cette période témoignent d’une précoce délicatesse. Il a rencontré une femme « qui a les mains blanches », et le voilà ravi en extase. Il assiste à un superbe coucher de soleil. « Mais à qui le dire ? » soupire-t-il. Quant à l’effet qu’il produisait sur son entourage, il était fort divers. Un de ses condisciples nous a vanté ses étonnantes finesse et distinction, un autre a tiré du mélange de cynisme et de mysticisme constaté dans ses propos, et du fait qu’il récitait avec enthousiasme

  1. Les Fleurs du Mal, cx