laire en réclamant de lui Une Charogne et Le Vin de l’Assassin, qu’il aimait à psalmodier comme une prose liturgique. Et déjà aussi étaient projetés une bonne part de ses essais de critique picturale. Cependant il ne publiait rien, attendant d’avoir grossi son bagage pour « entrer dans la postérité comme un boulet de canon ». D’autre part il avait, en deux ans, dissipé la moitié de son patrimoine. Sa famille prit peur une fois de plus. Passant outre à ses protestations indignées, elle le faisait doter, en septembre 1844 et dans la personne de M. Ancelle, notaire à Neuilly, d’un conseil judiciaire.
Quand on rencontre, dans sa correspondance, un de
ces multiples passages où il se lamente au sujet de cette
mesure, ou malmène l’excellent homme qui avait accepté
la tâche ingrate de le préserver de lui-même, on ne peut
se défendre de quelque agacement ni de trouver ses plaintes
presque puériles. Mais quand on constate à quel résultat
cette précaution devait aboutir, et qu’on pèse les conséquences
brutales et permanentes qu’elle allait engendrer,
on est bien près de partager son irritation. Baudelaire, à sa
mort, laissera un petit capital, mais il va payer cet avantage
dérisoire d’une gêne qui durera autant que lui-même ! C’en
est fini d’un cadre choisi et de ces heures de loisir « embaumé »,
dont il dira un jour qu’il leur a dû de devenir ce
qu’il est, et de toutes ces délicatesses qui permettent à l’artiste
d’atténuer la cruauté
D’un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve ;
lui, si sensible à l’ambiance, lui dont de simples phrases comme celle-ci : « J’ai eu longtemps, devant ma fenêtre, un cabaret rouge et vert qui était, pour mes yeux, une