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XXXVII
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

à ces pièces-là, son œuvre en oppose d’autres qui flétrissent

Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

— d’autres aussi, comme Le Rebelle ou La Rançon, qui, mises en prose, fourniraient la matière d’un sermon parfaitement orthodoxe, d’autres encore, comme La Charogne et Le Voyage à Cythère, où la peinture de l’horrible ne semble là que pour permettre au poète de s’élancer, avec le trait final, vers les hauts sommets du mysticisme.

Baudelaire portait dans ses veines la tradition catholique, renforcée par une forte éducation religieuse. Il faut insister sur ce point : il était catholique de naissance, de formation, de culture, d’inclinations. Il avait perdu la foi de bonne heure. L’exhortation de saint Augustin : « Si vis fugere a Deo, fuge ad Deum, — si vous avez peur de Dieu, sauvez-vous dans ses bras ! » il ne pouvait plus l’entendre, quelque soif qu’il eût de la divinité. Dans son œuvre il a dressé maints autels à Satan, avec d’autant plus d’ardente dévotion que son génie, à leur flamme, s’allumait d’une splendeur noire et nouvelle. Il croyait en Lui réellement, d’ailleurs : « De tout temps, écrivait-il à Flaubert, j’ai été obsédé par l’impossibilité de me rendre compte de certaines actions ou pensées soudaines de l’homme, sans l’hypothèse de l’intervention d’une force méchante et extérieure à lui. » Et cette force, qu’il qualifie lui-même ici de méchante, il n’y a point de doute qu’il n’ait éprouvé parfois une jouissance quasi démoniaque à en éprouver et à en célébrer l’aiguillon, la puissance et la subtilité : enivrement d’un sculpteur qui, d’une matière infâme, sait tirer des chefs-d’œuvre :

Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or !