Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal, Conard, 1922.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XXXIX
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

dandysme suprême qu’il vise : « Être un grand homme et un saint tous les jours pour soi-même. » Il voudrait se rapprocher du Ciel, il s’y exhorte : « L’homme qui fait sa prière est un capitaine qui pose des sentinelles. » — « Sans la charité, je ne suis qu’une cymbale retentissante. » II appelle à son secours des intercesseurs : « Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs complices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu, accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes et que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise. » — Mais, déjà le drame approche de son dénouement, et il le prévoit avec son habituelle lucidité : « J’ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. Maintenant, j’ai toujours le vertige, et aujourd’hui 23 janvier 1862, j’ai senti passer sur moi le vent de l’aile de l’imbécillité. »


Quand Baudelaire partit pour la Belgique (avril 1864), à quarante-trois ans, il semblait un vieillard et il était l’image vivante du désespoir en révolte. Il faut voir ses photographies d’alors. Le front est resté une masse magnifique, sous les cheveux épais et longs, qu’on devine blancs, mais quelle navrance dans les yeux sombres, et quel défi pourtant obstiné ! Quel dégoût dans les plis qui descendent des narines, quel mépris dans les lèvres serrées comme pour contenir la nausée ! C’est vraiment le visage d’un maudit, chargé de tous les péchés du monde.

Il était venu à Bruxelles dans l’espoir d’y gagner quelque argent à faire des conférences sur de grands artistes contemporains, notamment sur Delacroix et Gautier, et puis encore d’y vendre ses œuvres complètes, et parce que les exigences pécuniaires de Jeanne Duval et sa lassitude de