Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/219

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même un lustre nouveau, cela est indubitable. Il n’est pas moins certain qu’une forte dose de sensualité se mêle à ces agitations de l’esprit ; et d’ailleurs il n’est pas inutile de remarquer, ce qui suffirait à constater sur ce point l’immoralité du haschisch, qu’une secte d’Ismaïlites (c’est des Ismaïlites que sont issus les Assassins) égarait ses adorations bien au-delà de l’impartial Lingam, c’est-à-dire jusqu’au culte absolu et exclusif de la moitié féminine du symbole. Il n’y aurait rien que de naturel, chaque homme étant la représentation de l’histoire, de voir une hérésie obscène, une religion monstrueuse se produire dans un esprit qui s’est lâchement livré à la merci d’une drogue infernale, et qui sourit à la dilapidation de ses propres facultés.

Puisque nous avons vu se manifester dans l’ivresse du haschisch une bienveillance singulière appliquée même aux inconnus, une espèce de philanthropie plutôt faite de pitié que d’amour (c’est ici que se montre le premier germe de l’esprit satanique qui se développera d’une manière extraordinaire), mais qui va jusqu’à la crainte d’affliger qui que ce soit, on devine ce que peut devenir la sentimentalité localisée, appliquée à une personne chérie, jouant ou ayant joué un rôle important dans la vie morale du malade. Le culte, l’adoration, la prière, les rêves de bonheur se projettent et s’élancent avec l’énergie ambitieuse et l’éclat d’un feu d’artifice ; comme la poudre et les matières colorantes du feu, ils éblouissent et s’évanouissent dans les ténèbres. Il n’est sorte de combinaison sentimentale