Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/221

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s’efface, tous les problèmes philosophiques deviennent limpides, ou du moins paraissent tels. Tout est matière à jouissance. La plénitude de sa vie actuelle lui inspire un orgueil démesuré. Une voix parle en lui (hélas ! c’est la sienne) qui lui dit : « Tu as maintenant le droit de te considérer comme supérieur à tous les hommes ; nul ne connaît et ne pourrait comprendre tout ce que tu penses et tout ce que tu sens ; ils seraient même incapables d’apprécier la bienveillance qu’ils t’inspirent. Tu es un roi que les passants méconnaissent, et qui vit dans la solitude de sa conviction : mais que t’importe ? Ne possèdes-tu pas ce mépris souverain qui rend l’âme si bonne ? »

Cependant nous pouvons supposer que de temps à autre un souvenir mordant traverse et corrompe ce bonheur. Une suggestion fournie par l’extérieur peut ranimer un passé désagréable à contempler. De combien d’actions sottes ou viles le passé n’est-il pas rempli, qui sont véritablement indignes de ce roi de la pensée et qui en souillent la dignité idéale ? Croyez que l’homme au haschisch affrontera courageusement ces fantômes pleins de reproches, et même qu’il saura tirer de ces hideux souvenirs de nouveaux éléments de plaisir et d’orgueil. Telle sera l’évolution de son raisonnement : la première sensation de douleur passée, il analysera curieusement cette action ou ce sentiment dont le souvenir a troublé sa glorification actuelle, les motifs qui le faisaient agir alors, les circonstances dont il était environné, et s’il ne trouve