Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/242

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une traduction des journaux anglais. La nécessité de trouver dans sa mémoire et son imagination une foule de périphrases pour exprimer par une langue morte des idées et des images absolument modernes, avait créé pour lui un dictionnaire toujours prêt, bien autrement complexe et étendu que celui qui résulte de la vulgaire patience des thèmes purement littéraires. « Ce garçon-là, disait un de ses maîtres en le désignant à un étranger, pourrait haranguer une foule athénienne beaucoup mieux que vous ou moi une foule anglaise. » Malheureusement notre helléniste précoce fut enlevé à cet excellent maître ; et, après avoir passé par les mains d’un grossier pédagogue tremblant toujours que l’enfant ne se fit le redresseur de son ignorance, il fut remis aux soins d’un bon et solide professeur, qui, lui aussi, péchait par le manque d’élégance et ne rappelait en rien l’ardente et étincelante érudition du premier. Mauvaise chose, qu’un enfant puisse juger ses maîtres et se placer au-dessus d’eux. On traduisait Sophocle, et, avant l’ouverture de la classe, le zélé professeur, l’archididascalus, se préparait avec une grammaire et un lexique à la lecture des chœurs, purgeant à l’avance sa leçon de toutes les hésitations et de toutes les difficultés. Cependant le jeune homme (il touchait à ses dix-sept ans) brûlait d’aller à l’université, et c’était en vain qu’il tourmentait ses tuteurs à ce sujet. L’un d’eux, homme bon et raisonnable, vivait fort loin. Sur les trois autres, deux avaient remis toute leur autorité entre les mains du quatrième ; et celui--