Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/275

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mais ses premiers effets sont toujours de stimuler et d’exalter l’homme, cette élévation de l’esprit ne durant jamais moins de huit heures ; de sorte que c’est la faute du mangeur d’opium, s’il ne règle pas sa médication de manière à faire tomber sur son sommeil naturel tout le poids de l’influence narcotique. Pour que le lecteur puisse juger si l’opium est propre à stupéfier les facultés d’un cerveau anglais, il donnera, dit-il, deux échantillons de ses jouissances, et traitant la question par illustrations plutôt que par arguments, il racontera la manière dont il employait souvent ses soirées d’opium à Londres, dans la période de temps comprise entre 1804 et 1812. Il était alors un rude travailleur, et, tout son temps étant rempli de sévères études, il croyait bien avoir le droit de chercher de temps à autre, comme tous les hommes, le soulagement et la récréation qui lui convenaient le mieux.

« Vendredi prochain, s’il plût à Dieu, je me propose d’être ivre, » disait le feu duc de…, et notre auteur fixait ainsi d’avance quand et combien de fois dans un temps donné il se livrerait à sa débauche favorite. C’était une fois toutes les trois semaines, rarement plus, généralement le mardi soir ou le samedi soir, jours d’opéra. C’étaient les beaux temps de la Grassini. La musique entrait alors dans ses oreilles, non pas comme une simple succession logique de sons agréables, mais comme une série de memoranda, comme les accents d’une sorcellerie qui évoquait devant l’œil de son esprit toute sa vie passée. La musique inter-