Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/331

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les lèvres pâles, les mains roidies le frappèrent horriblement ; et pendant qu’immobile il la regardait, un vent solennel s’éleva et se mit à souffler violemment, « le vent le plus mélancolique, dit-il, que j’aie jamais entendu. » Bien des fois, depuis lors, pendant les journées d’été, au moment où le soleil est le plus chaud, il a ouï s’élever le même vent, « enflant sa même voix profonde, solennelle, memnonienne, religieuse. » C’est, ajoute-t-il, le seul symbole de l’éternité qu’il soit donné à l’oreille humaine de percevoir. Et trois fois dans sa vie il a entendu le même son, dans les mêmes circonstances, entre une fenêtre ouverte et le cadavre d’une personne morte un jour d’été.

Tout à coup, ses yeux, éblouis par l’éclat de la vie extérieure et comparant la pompe et la gloire des cieux avec la glace qui recouvrait le visage de la morte, eurent une étrange vision. Une galerie, une voûte sembla s’ouvrir à travers l’azur, — un chemin prolongé à l’infini. Et sur les vagues bleues son esprit s’éleva ; et ces vagues et son esprit se mirent à courir vers le trône de Dieu ; mais le trône rayait sans cesse devant son ardente poursuite. Dans cette singulière extase, il s’endormit ; et quand il reprit possession de lui-même, il se retrouva assis auprès du lit de sa sœur. Ainsi l’enfant solitaire, accablé par son premier chagrin, s’était envolé vers Dieu, le solitaire par excellence. Ainsi l’instinct, supérieur à toute philosophie, lui avait fait trouver dans un rêve céleste