Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/402

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— Toujours, Madame ! répondit Samuel en riant. — Mais que lisiez-vous donc là ?

— Un roman de Walter Scott.

— Je m’explique maintenant vos fréquentes interruptions. — Oh ! l’ennuyeux écrivain ! — Un poudreux déterreur de chroniques ! un fastidieux amas de descriptions de bric-à-brac, — un tas de vieilles choses et de défroques de tout genre : — des armures, des vaisselles, des meubles, des auberges gothiques et des châteaux de mélodrame, où se promènent quelques mannequins à ressort, vêtus de justaucorps et de pourpoints bariolés ; — types connus, dont nul plagiaire de dix-huit ans ne voudra plus dans dix ans ; des châtelaines impossibles et des amoureux parfaitement dénués d’actualité, — nulle vérité de cœur, nulle philosophie de sentiments ! Quelle différence chez nos bons romanciers français, où la passion et la morale l’emportent toujours sur la description matérielle des objets ! — Qu’importe que la châtelaine porte fraise ou paniers, ou sous-jupe Oudinot, pourvu qu’elle sanglote ou trahisse convenablement ? L’amoureux vous intéresse-t-il beaucoup plus pour porter dans son gilet un poignard au lieu d’une carte de visite, et un despote en habit noir vous cause-t-il une terreur moins poétique qu’un tyran bardé de buffle et de fer ?

Samuel, comme on le voit, rentrait dans la classe des gens absorbants, — des hommes insupportables et passionnés, chez qui le métier gâte la conversation, et